Comptabiliser les cryptomonnaies
Pour commencer
Les principes de comptabilisation des jetons — qu’ils soient émis ou reçus par des entreprises — sont encadrés par Autorité des normes comptables (ANC), notamment via le règlement n° 2020-05.
Contrairement à un compte bancaire classique, les monnaies virtuelles comme Bitcoin sont enregistrées dans un compte spécifique (compte 522) à part dans le plan comptable. La multiplicité des cas de figure impose une compréhension fine des différentes catégories de jetons pour assurer un traitement comptable adapté et la conformité des états financiers.
L’essor de la technologie Blockchain et des crypto-actifs (cryptomonnaies, tokens) est de plus en plus évident. En comptabilité, recourir à la blockchain peut contribuer à sécuriser les flux financiers, automatiser certaines saisies et fiabiliser la tenue des livres.
De nombreuses sociétés acceptent déjà des cryptomonnaies dans leur bilan (Bitcoin ou Ethereum Treasury Company par exemple), comme moyen de paiement ou pratiquent des levées de fonds via la blockchain — c’est le cas des opérations appelées ICO (Initial Coin Offering), même si ce n’est plus trop d’actualité en 2025. Malgré tout, lors d’une ICO, le grand public peut souscrire à des jetons en échange de cryptomonnaies telles que le bitcoin, l’ether ou encore des stablecoins. Ces jetons donnent souvent à leurs détenteurs certains droits (accès à un service, à une plateforme…). Suivant la valorisation du crypto-actif émis, ces levées peuvent atteindre des montants considérables (millions, voire milliards d’euros).
Lorsque les notions de bitcoin, comptabilité et cryptomonnaies apparaissent dans la même discussion, la complexité monte : le traitement comptable dépend du type de jeton et de l’intention du souscripteur. Ainsi, certains jetons détenus sont traités comme des valeurs mobilières de placement (VMP), tandis que les dérivés portant sur jetons relèvent du traitement des instruments financiers.
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la France a œuvré à aligner son cadre des crypto-actifs sur la réglementation européenne : deux ordonnances — n° 2024-936 et n° 2024-937 du 15 octobre 2024 — ont été adoptées. La première ranspose le règlement européen MiCA (UE 2023/1114) visant un cadre armonisé des crypto-actifs et la protection des utilisateurs. La seconde intègre les modifications de la directive (UE) 2015/849 relative à la révention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, renforçant les obligations des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN). Ces textes adaptent le régime des PSAN, qui sera remplacé par le cadre européen d’ici le 1er juillet 2026, et modifient plusieurs codes pour homogénéiser la terminologie et clarifier le statut juridique des actifs numériques. Certaines dispositions — notamment celles relatives aux jetons de monnaie électronique — sont entrées en vigueur dès le 18 octobre 2024, les autres au 30 décembre 2024.
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L’article 14 du projet de loi de finances pour 2025 prévoit aussi des mesures pour rapprocher le droit français du droit européen en matière de coopération administrative fiscale des crypto-actifs. Il impose notamment aux PSAN, conformément au règlement (UE) 2023/1114, une obligation de déclaration des transactions, comptes et titulaires concernés par ces actifs, avec sanctions en cas de manquement, sous la supervision de la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Un nouvel article L80 R du Livre des procédures fiscales introduit une amende pour les établissements financiers non régulés en cas de non-respect de l’échange automatique d’informations entre pays. Le texte modifie également les obligations de déclaration fiscale des avocats et encadre la notification de ces obligations aux autres intermédiaires. Il précise enfin la possibilité, sous certaines conditions, d’exonérer les plateformes hors UE de certaines obligations déclaratives françaises, et étend l’usage des informations fiscales échangées aux législations douanières et à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Concernant les comptes à utiliser pour la comptabilisation des jetons émis ou reçus : les règlements ANC n° 2018-07 et n° 2020-05 ont introduit ou adapté des comptes dédiés, notamment en redéfinissant le compte 474 (qui n’est plus un simple compte d’attente) et en renommant certains comptes du plan comptable général (PCG). Le règlement n° 2022-06 de l’ANC entrera en application à compter du 1er janvier 2025 et apportera une nouvelle évolution du PCG. Jusqu’à fin 2024 le plan comptable retenait un certain numéro et libellé pour chaque poste, et dès 2025 certaines évolutions sont prévues (ex. : les comptes 4746, 4752, 522, 523, 524, 6674, 7674…).
Comptes à utiliser à partir du 1er janvier 2025
Compte 522 – Jetons détenus : utilisé pour enregistrer les jetons acquis à titre de placement, de trésorerie ou de spéculation.
Compte 523 – Jetons auto-détenus : réservé aux jetons émis par l’entreprise et ensuite rachetés par elle-même.
Compte 524 – Jetons empruntés : concerne les jetons reçus temporairement avec obligation de restitution.
Comptes 4742 et 4752 : enregistrent les différences d’évaluation sur les jetons détenus, respectivement à l’actif (en cas de gain latent) et au passif (en cas de perte latente).
Comptes 4746 et 4756 : permettent de constater les différences d’évaluation sur les passifs libellés en jetons.
Compte 4871 – Produits constatés d’avance sur jetons émis : concerne les jetons vendus avant la réalisation des prestations correspondantes.
Comptes 6674 et 7674 : enregistrent les charges ou produits nets liés à la cession de jetons.
Comptes 164 et 168 : servent à comptabiliser les emprunts et dettes assimilées, notamment lorsqu’un jeton émis s’apparente à un instrument de dette.
Comptes 706 / 707 : permettent de constater un chiffre d’affaires lorsque des biens ou services sont réglés en crypto-actifs.
Comptabilisation des jetons émis
Pour le traitement des jetons émis, il est essentiel d’analyser les droits et obligations liés à l’émetteur, ce que l’on retrouve généralement dans le white-paper de l’opération. Selon leur nature, les jetons peuvent être classés et comptabilisés de différentes façons :
ceux possédant les caractéristiques de titres financiers (securities tokens) relèvent des articles 941-16 ou 628 du PCG et sont donc comptabilisés comme tels.
les utility tokens — qui ne sont pas des titres financiers — doivent être traités selon leur substance : s’ils confèrent une dette remboursable, ils sont enregistrés en emprunt/dette ; s’ils sont liés à une prestation à livrer ou un bien à fournir, alors un produit constaté d’avance doit être enregistré ; s’il s’agit simplement d’un droit d’usage sans obligation de restitution, il peut s’agir d’un produit d’exploitation.
Le montant à comptabiliser correspond au prix de souscription payé par un tiers, sauf attribution gratuite ou à conditions préférentielles. Les produits constatés d’avance doivent être valorisés à chaque clôture selon la part de prestations restant à réaliser. Les emprunts ou dettes convertibles en jetons sont évalués à la clôture sur la base du dernier cours du jeton concerné : une différence d’évaluation actif/passif est à constater comme pour une devise étrangère. En vertu du principe de prudence, une provision pour pertes latentes peut être requise. Lorsque l’émetteur reçoit des cryptomonnaies ou d’autres jetons, l’enregistrement se fait à l’actif en tant que produits ou apports reçus.
Comptabilisation des jetons détenus ou empruntés
Lorsque l’entreprise détient ou emprunte des jetons, ces derniers peuvent être traités comme des titres financiers ou des instruments de trésorerie. Si la volonté est de conserver durablement le jeton, celui-ci peut être immobilisé incorporel à amortir ou à déprécier.
Dans le cas de spéculation, les jetons détenus sont enregistrés dans le compte 522 « Jetons détenus », le traitement se rapprochant de celui des valeurs mobilières de placement. Les jetons empruntés sont inscrits au compte 524 « Jetons empruntés », en contrepartie d’une dette financière.
Les gains ou pertes sur cessions ainsi que la rémunération des jetons empruntés sont qualifiés de produits ou charges financiers. La juste valeur des jetons classés en instruments de trésorerie est déterminée à la clôture selon les informations disponibles fiables, et les pertes latentes doivent être provisionnées. Les variations de valeur sont comptabilisées via un compte transitoire au bilan (par exemple comptes 478 jusqu’à fin 2024, puis 474 ou 475).
À noter : pour une monnaie numérique qui fait office de moyen de paiement, il n’existe pas de cours officiel.
Comptabilisation des services sur actifs numériques
Quand l’entreprise propose des services sur actifs numériques (conservation, achat/vente, etc.), elle ne doit pas inscrire ces actifs numériques à l’actif du bilan si les trois conditions suivantes sont remplies :
les actifs numériques sont séparés dans la comptabilité de l’entité de ceux des clients ;
leur utilisation est faite avec l’accord explicite du client ;
l’entité a mis en place les moyens nécessaires pour restituer ces actifs au client.
Si l’une de ces conditions fait défaut, alors les actifs numériques (y compris les clés cryptographiques privées) doivent être inscrits à l’actif comme jetons détenus, avec pour contrepartie une dette de restitution équivalente. Le prêt d’actifs numériques est encadré de la même façon que les prêts de jetons.
